Le vrai visage de Carnaval

 Le vrai visage de Carnaval,
brève revue de la littérature sur les origines de la fête

Carnaval désigne cette période de l’année marquée par des réjouissances profanes et qui va de Noël (ou de la Chandeleur) au Mercredi des cendres. Ripailles et mascarades se multiplient alors sans retenue aucune jusqu’à ce que commence les quarante jours de Carême prescrit par l’Eglise. Les catholiques observent alors un jeûne traditionnel. « Carême-entrant » (Quadragesimma intrans) désigne les trois jours qui précèdent le Mercredi et plus spécialement le « Mardi gras » qui en est la veille. Quelle que soit l’étymologie du mot “carnaval”, les faits démontrent clairement que cette fête précédant le carême n'a pas une origine chrétienne.
Selon le dictionnaire de Funk & Wagnalls : « Les jeux du carnaval se sont développés à partir des chants burlesques et des bouffonneries des personnages déguisés qui suivaient les processions teutoniques de chars en forme de bateau. »  

Les pièces jouées durant le carnaval semblent démontrer que ce nom dérive bien de termes signifiant “déraisonner”. Dans les pays allemands, on appelle Fasching, Fastnacht ou Fasenacht la fête qui précède le carême.

Ce terme dériverait de fasen ou faseln qui signifient “déraisonner”, “dire des bêtises”. Il désignerait alors une fête caractérisée par la folie, les orgies et la débauche. La signification du nom allemand de Carnaval correspond assez bien aux nombreuses coutumes caractérisant cette fête.

Une origine du mot “carnaval” à partir de carrus navalis serait-elle plus exacte ? Selon cet ouvrage, « Le mot carnaval vient de carrus navalis, char de la mer, véhicule en forme de bateau et monté sur roues, utilisé dans les processions de Dionysos (plus tard dans des processions organisées pour d’autres fêtes) et d’où toutes sortes de chants satyriques étaient chantés. » Cette explication est d’autant plus plausible que les fêtes célébrées par de nombreux peuples anciens étaient caractérisées par la procession de chars en forme de bateau, par des danses lascives et par des déguisements.

Cette fête précédant le carême a bien une origine païenne, au sens de non chrétienne.

« En opérant des changements opportuns dans le caractère de fêtes populaires célébrées depuis longtemps et qui ne pouvaient être purement et simplement abolies, l’Église choisit de leur conférer des raisons chrétiennes, procédé qui fut largement utilisé pour les fêtes du carnaval. »

Dans l’Encyclopédie de la religion et de l’éthique, de James Hastings, on trouve cette explication :
« Les processions athéniennes comportant des chars en forme de bateau étaient organisées en l’honneur du dieu Dionysos. Le culte de Dionysos se retrouve dans les bacchanales et les lupercales romaines, fêtes qui, à la fin de l’Empire romain, se caractérisaient par des plaisanteries obscènes et une liberté sans retenue, et se déroulaient dans un désordre civil temporaire. Cet esprit général ainsi que certains aspects particuliers ont été transmis à la fête de carnaval entre autres, ce qui explique pourquoi celle-ci a revêtu ce caractère spécial dans des régions où la civilisation romaine exerça une influence souveraine. » (Tome 3, p 226)
On peut faire un intéressant parallèle entre l’exécution de “sa Majesté Carnaval” et d’anciennes fêtes païennes. Dans son ouvrage Le rameau d’or, James G. Frazer fait cette remarque : " On a souvent remarqué la ressemblance entre les anciennes saturnales et le carnaval de l’Italie moderne ; cependant, à la lumière de tous les faits qui nous ont été présentés, nous pouvons nous demander si cette ressemblance ne devient pas une similitude."
« Nous avons vu qu’en Italie, en Espagne et en France, c’est-à-dire dans les pays où l’influence de Rome a été la plus grande et la plus durable, une caractéristique remarquable du carnaval est le personnage burlesque qui personnifie la période des réjouissances et qui, après une gloire et un divertissement éphémères, est publiquement abattu, brûlé ou détruit d’une autre façon aux yeux de la populace, qui feint de s’attrister ou se réjouit franchement. Si le point de vue exprimé ici à propos du carnaval est correct, ce personnage grotesque n’est nul autre que le successeur direct du vieux roi des saturnales, le maître des bacchanales qui, à la fin des anciennes festivités païennes, était aussi mis à mort. »
Ce sont sous des formes latines qu’il est d’abord fait mention au XIIè de la période de l’année correspondant à Carnaval. On pense généralement que le mot serait composé du radical carn désignant ‘la viande’ et de la locution adverbiale à val signifiant ‘vers le bas’. Il faut selon Anne Lombard-Jourdan  attribuer à la racine carn un sens différent.

Il ne s’agit pas e caro, carnis, la chair, mais de cern, corn, carn (latin cornu) et qui désigne la corne des animaux et notamment les bois du cerf. Avec cette nouvelle acceptation,  Carnaval devient le moment où la  « corne » va ‘ à val ’ ou ‘ avale ’,  c’est-à dire tombe. Cette période se place au mois de février.  (page 81-82)

Le Carnaval est une tradition archaïque liée aux cycles saisonniers et agricoles. L’historien des religions écrit dans son livre « Le Mythe de l’éternel retour » (Gallimard, 1969, p.69) « Toute Nouvelle Année est une reprise du temps à son commencement, c’est-à- dire . Les combats rituels entre deux groupes de figurants, la présence des morts, les saturnales et les orgies, sont autant d' éléments qui dénotent qu’à la fin de l’année et dans l’attente du Nouvel An se répètent les moments mythiques du passage du Chaos à la Cosmogonie. » Mircea Eliade parle des valeurs cosmologiques du Carnaval dans son « Traité d’histoire des religions » .

Les masques prennent les caractéristiques des êtres surnaturels qui sont les démons et les esprits des éléments de la nature.

À la fin le temps et l’ordre du cosmos, bouleversés pendant le Carnaval, sont reconstitués par la cérémonie de la lecture du “testament” et par les “funérailles” du carnaval qui souvent consistent en la brûlure du “Roi Carnaval” représenté par un mannequin ou une poupée de chiffon. D'autres fois l'image du Carnaval est noyée ou décapitée.

Pour Nadine Cretin, les origines de Carnaval sont multiples et lointaines. Sa philosophie reste rigoureuse et sa coupure dans le temps, nécessaire et régulatrice : on tourne en ridicule, l’espace d’une fête, les institutions les plus sérieuses. Dans l’ancienne Babylone, lors de la fête des Sacées en juillet, un condamné à mort prenait la place du roi. Au moment du Nouvel An, à l’équinoxe du printemps, le roi se faisait humilier par le grand prêtre et devenait simple sujet. En Grèce, on célébrait Dionysos entre décembre et mars par des fêtes comprenant des jeux dramatiques aux origines du théâtre. Celles-ci recouvraient d’antiques cultes orgiaques liés au réveil de la nature.
Beaucoup de fêtes liées aux célébrations liturgiques recouvrent des célébrations païennes antérieures, liées elles-mêmes aux cycles cosmiques qui rythment l’existence (page 4). Le cycle de Pâques correspond à une très importante période de passage de l’hiver à l’été. Les réjouissances de carnaval précèdent un temps d’austérité, le carême, qui conduit les chrétiens à Pâques.

Le mot carnaval vient probablement de carnelevare (du latin, enlever la viande) : il annonce le jeûne qui va suivre, dont il est inséparable.
Ce mot pourrait aussi venir de l’antique journée liée au culte d’Isis, autour d’un bateau votif, le Carrus navalis (char naval), qui marquait la reprise de la navigation début mars. Suivant l’endroit où il était célébré, à la campagne où il purifiait l’espace commun par des rites magiques, ou à la ville où il servait d’affirmation sociale. Les carnavals fêtaient l’expulsion de l’hiver que l’on voulait définitive et de la « Vieille » (année, mais aussi surnom qui qualifie le carême), ainsi que l’arrivée bienvenue de la saison nouvelle. « Bouc émissaire visible et tangible », selon Frazer, un mannequin de paille, personnification du carnaval, est aujourd’hui encore mis à mort. Son enterrement donne lieu à un joyeux adieu public au gras.
Quel est le regard de l’Église naissante ? « Elle a permis aux éléments et aux symboles extérieurs de se maintenir en de nombreux cas, pourvu que leur usage fût changé en une signification authentiquement chrétienne. » (p 12)   L’Église a repris en partie ces célébrations printanières, en les adaptant pour « être mises au service de la vraie foi, selon leur sens et leur symbolisme naturels. »

Ces fêtes carnavalesques, joyeuses et relâchées, reflètent bien dans leur complexité les dimensions essentielles de toutes les autres fêtes de l’année. L’Église a repris en partie ces célébrations printanières, en les adaptant pour « être mises au service de la vraie foi, selon leur sens et leur symbolisme naturels. » (page 12)

LEncyclopédie britannique montre également que la fête de carnaval célébrée dans les pays catholiques est en réalité une adaptation des anciennes fêtes païennes. Elle explique aussi l’attitude des papes envers cette fête, disant : « Dans le passé, le carnaval commençait la douzième nuit (6 janvier) et se prolongeait jusqu’à minuit le Mardi gras. On ne peut guère douter que cette période de débauche représente un de ces compromis que l’Église a toujours été encline à faire avec les fêtes païennes et que le Carnaval remplace en réalité les saturnales romaines. Rome a toujours été le siège du carnaval, et bien que certains papes, notamment Clément IX, Clément XI et Benoît XIII, aient fait des efforts pour endiguer la marée des bacchanales, d’autres protégeaient et organisaient même ces fêtes. » (onzième édition, tome V, page 366)
L’Église a donc fait un compromis : elle a permis au peuple de continuer à célébrer ses fêtes, mais elle a donné à celles-ci une signification différente, les associant aux doctrines de l’Église. Quelle que soit l’étymologie du mot “carnaval”, les faits démontrent clairement que cette fête précédant le carême a une origine païenne.
Voir aussi : Fêtes et traditions occidentales, et : Aux origines de Carnaval, Un dieu gaulois ancêtre des rois de France